C'était Parfait.
Recueil de nouvelles « Précaires ! ». *** Vingtième tour. Sur la butte du parc, il guette le matin qui ne se lève pas. La nuit se poursuit depuis des heures excessives ; aucun jour ne l’a suspendue. Parfait se réjouit, cette bizarrerie lui convient. Il s’éloigne ; dans le brouillard, il rejoint les murs râpés de tags et reprend sa déambulation cyclique. La lueur jaune de rares réverbères vomissent sur les ordures. Pas un glandu dans les escaliers, pas un mec qui part à son boulot de merde, nulle crapaudaille, aucun clébard. Aucune lumière non plus sur les murs immergés de blême brume ? Parfait s’en égaie. Il affectionne ce décor de délire obscur et repart pour le tour suivant, balisé au GPS. Il chante, à petits mots bas, Parfait, appréciant le noir immobile, les façades qui l’enserrent, exsangues comme d’un kolkhoze sibérien. Dans sa barbe longue, emmêlée, malpropre, il dit :
C’était foutu avant ma naissance, pas possible autrement, ma faute depuis ; c’était moi ce gluant coupable ; c'est moi qui ai crié, c'est moi qui ai vu le jour ; après j’ai hurlé muet.
Il dit aussi :
Ah ! C’est mon quartier à moi ce quartier décédé ! Tant pis si ma mère est moche, si Madeleine est partie et mon boulot aussi, j’avais qu’à pas ; mon chez-moi est bas, je fais mon tour, je ramasse les clous, les écrous, les épingles, les couteaux rouillés, les lames avariées, les bidouilles mécaniques pointues. Suis-je seul ? C'est vite dit ; sait-on jamais, dans une obscurité pareille ? Je vais avoir de la compagnie c’est sûr un jour, mais pour l’instant rien, j’avais qu’à pas, tout de ma faute. Les enfants c’est bien, ça se met en plusieurs, deux, trois, pour être ensemble, et parler vite vite beaucoup, mais trop tard pour moi, suis vieux très vieilli, ni bambin ni père.