Les dernières gouttes. Extrait du recueil " Du Sud"

[… Assis sur le pas de sa porte, silencieux comme à l’accoutumée, l’Allemand, lui, était ennuyé. C’est qu’il était chiche ; il avait l’habitude de puiser à la fontaine l’eau gratuite dont il avait besoin. Il avait d’ailleurs placé un ultime seau sous le bec de bronze pour recueillir les dernières gouttes qui sourdaient, trois par jour environ.

Et cela dura, dura.

Coururent les  hypothèses les plus déjantées.

Le hameau voisin, qui avait perdu le concours de pétanque, avait obstrué le passage de l’eau avec un sanglier mort.

Le comte, cet hypocrite, avait fait colmater la source par des sbires car il était, en secret, actionnaire de la régie d’eau.

Les camions hollandais qui remontaient  vers le Nord les  bonnes salades du pays avaient provoqué un éboulement souterrain.

Les piscines d’estrangers où se baignaient des dévergondées demi-nues étaient également fort suspectes.

L’Allemand rancunier s’était vengé du village.

Il y avait aussi les voyous de la ville qui avaient pu commettre le forfait «pour niquer les bouffons ». Ils étaient capables du pire même si on en ignorait tout, aucun de ces redoutables «djeunes»  n’ayant trouvé le moindre intérêt à pointer son nez dans le village.

Etc.

Encore ne s’agissait-il que des délires les plus accentués de la Germaine ; elle répandait beaucoup d’autres racontars, un peu moins farfelus certes mais tout autant nocifs. Il faut dire que les villageois adoraient ces ragots qui donnaient un peu de piment à l’ennui des journées immobiles. Le seul qui restât impavide était le brave Marius. […]
Philippe Hubert

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