Les maudites chèvres 2
Récit. Extrait du chapitre 4. Les anchois de Madrid***
Nous traversons la ville pour rejoindre la nouvelle gare et un nouveau train où tout le monde s’entasse comme il peut. J’ai faim. En passant la douane espagnole, mon sandwich et la boîte de conserve qui l’accompagnait ont été découpés au couteau. Je les ai jetées, je n’ai plus rien. Quelqu’un me donne un café et un verre d’eau en échange de quelques piécettes qui restent au fond de ma poche. Je ne sais pas si c’est un geste désintéressé ou celui d’un des multiples voleurs possibles qui se sont mêlés à la foule, au troupeau, pour en extirper ce qui peut l’être.
Le train quitte Algésiras et roule vers Madrid. Il roule, il roule, il roule, le temps passe, c’est long.
Voilà Madrid. Je comprends qu’il faut se diviser. Il y a ceux qui vont partir vers «Hendaye » et on leur donne une étiquette « Hendaye » comme des bestiaux de la traçabilité d’aujourd’hui .Il y a ceux dont je fais partie qui vont de l’autre côté «Barcelone ». Je ne comprends rien, je ne sais pas lire ce qu’il y a sur l’étiquette, mais les haut-parleurs m’avaient donné quelques indications et je comprends vaguement. Je me retrouve dans la bonne troupe. L’une et l’autre vont dans une autre gare, Madrid Aliocha, mais pas dans le même train.
Je rencontre enfin un Berbère du Rif, qui voyage avec nous par hasard. Par chance, il parle aussi l’Espagnol. Je peux enfin échanger avec quelqu’un après deux jours et deux nuits de voyage ! Je lui dis que je meurs de faim, que je n’ai rien avalé depuis quarante-huit heures, pas dormi non plus, mais je ne pense pas au sommeil et à la fatigue, j’ai faim, terriblement faim. Je lui demande un peu de pain et quelques olives. Nous ne sommes plus chez les Musulmans, la viande n’est pas hallal[1], je ne peux pas y toucher. Il m’amène des sandwichs aux anchois. C’est la joie ! Un festin ! Je me rassasie dans une immense gratitude. La vie est belle, magnifique, même : je mange et je parle !