Médée et moi

Extrait du chapitre 1***

 

Voilà le décor de ta Médée, Sakina. C’est le village de ton viol à quinze ans. Tu l’as voulu : il  te ressaute à la gueule comme on le  voit encore sur ton visage émacié. Ton mariage forcé. Ta terreur de petite fille engloutie par la fête forcée. Ce sexe énorme de l’homme qui a pénétré ton ventre comme une hache un tronc. Ce pénis dur  d’os d’âne dont le liquide s’est répandu en flot dans ton ventre de pucelle, au milieu d’une douleur qui a fendu par le glaive  tes rêves roses. A  brûler en enfer. A clamer ton innocence :  non non s’il vous plaît. Et l’homme s’est arraché de ta torture. L’animal a été assouvi. Il  a vu  le sang virginal. Son stupre obscène a été  acclamé par les youyous  dehors. Il  s’est glorifié d’une satisfaction muette. Il n’a pas un eu un regard sur toi, pleurant, ni un mot vers toi, inconsolable de ta déchirure, ni un geste pour dire, merci, tu es belle, je suis heureux de toi. Non, Sakina, il n’y a eu, tu t’en souviens  qu’un reniflement de l’homme, ton mari violeur, qui est sorti aussitôt arborer le drap de sang, celui de ton sacrifice.

Et tu es restée repliée des heures sur toi, avec cet enfant dans le ventre déjà, l’ignorant. Puis tu es sortie, on t’a caparaçonnée comme une jument pleine. Tu t’es exposée sur la place recouverte de cris festifs comme d’une fange nauséeuse.

Alors, plus tard, quand tu as écrit ta version à toi de Médée, c’est le décor de ces horreurs qui t’est revenu. Il a surgi de tes entrailles pour apparaître sur la scène du Cloitre des Carmes, comme un cri guttural, le cri âpre de ta féminité à jamais estropiée.

Sakina, tu hais cet homme. Qui fut ton époux barbare. Mais tu aimes ton enfant, et, pour lui, tu ne t’es pas encore vengée du village complice.

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